J’aimerai vous proposer un nouvel article sur un sujet plus personnel, non technique. Mon expérience en tant que femme scientifique et ingénieure.
Le contexte professionnel a cela de particulier qu’il implique des positions de force de la part de ceux et celles qui essaient e vous déstabiliser. Ce que je vais vous raconter est une expérience personnelle, ce n’est pas une règle ou un jugement, chaque femme est différente. Je précise également que ce que je raconte là date d’il y a 15 ans, les choses ont évolué depuis. Et ça n’est pas spécifique au génie civil, qui n’est pas un milieu misogyne. Ce sont des individus, que l’on pourrait retrouver dans n’importe quel secteur d’activité.
Je suis issue d’une famille qui ne considère pas qu’une fille doit avoir un cursus différent d’un homme. Quand j’ai décidé de faire une école ingénieur et une thèse, j’ai été soutenue. Je ne m’attendais pas à ce qui m’est arrivé. Je pense que personne n’y est vraiment préparé.
J’ai été embauchée dans une grande entreprise de génie civil, avec une position internationale. Je devais beaucoup voyager, seule. Mon rôle était l’expertise. Je n’ai jamais eu de problème dans mon entreprise. Mes collègues ne m’ont jamais fait de remarques ou d’allusions déplacées. Ce n’était pas le cas de certains intervenants externes à l’entreprise (clients, fournisseurs, prestataires). En fonction du pays, j’avais également droit à certaines formes culturelles du misogyne : au japon, j’étais la seule femme acceptée en réunion parce que j’étais docteure.
Je me souviens de certains dîners ou de grands chefs d’entreprise me demandaient très explicitement de les rejoindre dans leur chambre. En Allemagne, j’ai également eu beaucoup de problèmes quand j’ai eu un enfant: certains considéraient qu’une mère devait s’occuper de ses enfants. J’ai donc été traitée de mauvaise mère. Au point qu’un expert d’un groupe de normalisation européen a écrit au comité de normalisation français pour me retirer de la délégation pour ce motif.
On m’a également dit que ma place était en cuisine, à servir le café ou les petits fours, on m’a traité d’incompétente en plein réunion avec des représentants internationaux. Peu de gestes mais des regards déplacés surtout. Cela était fait pour 2 raisons : pour me déstabiliser parce que je ne venais pas forcément pour défendre leurs positions, ou bien pour profiter de ma « faiblesse » en tant que femme devant un homme « puissant ». Et là vous vous dites, « comment a-t-elle réagi » ?
J’ai commencé par me poser des questions parce que je venais juste de sortir de ma thèse, et je me demandais si j’avais la compétence nécessaire pour assurer un poste de cette envergure. J’ai donc bossé, très dur, de manière presque obsessionnelle.
Puis j’ai compris que c’était lié au fait que j’étais une femme. Le déclencheur : une réunion en comité européen, moquée par l’animateur sans que je ne puisse répondre et l’un des participants est venu voir si je n’avais pas besoin d’être « consolée ». L’humiliation de trop.
Je ne pouvais plus tolérer cette situation. J’étais dans une rage, une colère, une incompréhension, c’était tellement injuste. Pour certains, j’étais cataloguée au premier regard. Et j’ai compris que je ne devais pas l’accepter (ça m’a pris 3 ans). J’ai donc décidé de me construire un rempart solide. J’ai séparé de manière chirurgicale le professionnel du personnel. Au bureau, j’étais un vrai robot. En réunion, je ne laissais rien passer, je coupais court à tout commentaire déplacé, j’avais de la répartie et je l’utilisais.
Je défendais de la même manière les femmes qui travaillaient avec moi et qui prenaient des coups dans les réunions auxquelles j’assistais, et on en discutait beaucoup, c’est important de se dire qu’on n’est pas seule finalement. Au fil des ans, j’ai commencé à être respectée et parfois même crainte dans mon domaine.
Dans le privé par contre, j’étais moi-même. Et c’était très déstabilisant pour ceux qui connaissaient ces deux « moi ». J’ai décidé de changer d’entreprise il y a 5 ans. Je me suis ainsi rendu compte que mon « masque » ne me rendait pas service. Il ne me permettait pas de m’intégrer dans ce nouvel environnement. J’ai donc décidé de le briser partiellement ce qui me protégeait de ces agressions externes. Parce que je me sentais prête à le faire.
Aujourd’hui, il est rare que je reçoive des remarques sexistes ou misogynes. Ce qui change par rapport à mes premières années, c’est que ce sont mes collègues qui me défendent. Ils prennent ma défense de manière tout à fait naturelle. Mais même lorsque je suis seule, si quelqu’un tente de me déstabiliser de cette manière, il ne le tente pas deux fois. Non seulement parce que j’ai de la répartie, mais aussi parce que je n’ai aucun état d’âme à faire remonter ce type de comportement. Aussi haut que nécessaire. ça ne me touche plus du tout, j’ai un regard externe finalement face à ces propos ou gestes qui devraient me toucher personnellement. C’est probablement lié au recul que j’ai su prendre au fil des années, sans pour autant les tolérer.
Ce que je peux dire aux femmes qui subissent ce type de « remarques » ou « blagues » dans un contexte professionnel ou avec des gens qu’elles ne connaissent pas : ne laissez rien passer. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire.
La confiance en soi, on ne l’a jamais, ce n’est pas un objectif finalement. L’objectif est de ne pas subir pour ce qui me concerne. Et de vivre ma carrière professionnelle en tant que scientifique et ingénieure comme le ferait n’importe quelle autre personne. Homme ou femme
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