J’ai lu avec attention des articles reprenant les résultats d’une étude démontrant la présence de microplastiques dans l’eau du thé issu de sachets fabriqués à partir de fibres polyester ou polyamide. Je pense qu’il est important que je vous explique ce que cette étude démontre et ce qu’elle ne démontre pas.
L’article presse en question est disponible ICI.
Et l’article Scientifique, disponible ICI.
Une petite explication sur les fibres en PET (polyester ou polyéthylène téréphtalate) : leur fabrication se fait par étirage du plastique fondu. On obtient un fil constitué de molécules étirées, orientées et organisées en phases cristallines, amorphe et mésomorphe . Un petit schéma d’explication (Model de Prevorsek):
Petit rappel sur les thermoplastiques ici vous y trouverez des explications sur les phases en question.
Le PET est un polyester, et si vous vous souvenez de vos cours de chimie du Lycée, vous savez qu’un ester est obtenu par la condensation d’un alcool + un acide. La réaction est RÉVERSIBLE. Si on évacue l’eau formée, on déplace l’équilibre réactionnel vers la création d’esters. Par contre si on ajoute de l’eau, on décompose l’ester pour donner un acide et un alcool.
C’est pareil pour le PET : sauf que la réaction est extrêmement lente. A température ambiante elle ne se fera pas facilement. Notamment parce qu’un polymère est une structure complexe, l’eau ne dégradera pas facilement le PET parce que la structure du polymère se comporte comme une forteresse de par la présence de nombreuses zones cristallines et par l’orientation des molécules. Par contre à 95°C, la partie amorphe de la fibre est mobile. Il sera plus facile pour les molécules d’eau d’y pénétrer et dégrader la fibre.
MAIS ! pour obtenir des microplastiques, il faut dégrader la surface en mode érosion, et l’eau ne dégrade pas le PET de cette manière.
Parce que quand elle arrive à pénétrer entre les macromolécules, l’eau réagit de manière homogène dans la fibre. Et pas uniquement en surface !! l’hydrolyse ne se fait pas par érosion sauf cas particuliers. Donc quand j’ai vu l’article je me suis dit que c’était juste impossible que cela vienne de la dégradation. Alors d’où viennent-ils ?
Il est probable que cela vienne de la fabrication, les auteurs de l’article ont pris des précautions. Ils ont réalisé un beau travail. Je les ai contacté et ils m’ont assuré qu’ils ne savaient pas avec certitude si ces microplastiques venaient de la dégradation du PET.
J’ai réalisé des essais de dégradation de fibres de PET dans l’eau, sur 2 ans. Cet essai permet d’accélérer la dégradation des fibres et d’anticiper leur durée de service. 5 min à 95°C c’est juste le temps pour les fibres de se réorganiser, voire de cristalliser un peu plus (et donc empêcher les molécules d’eau d’entrer). Autre point : quand on dégrade un PET, les produits de dégradation ont des chaines plus courtes que le PET et on crée des fins de chaines acide ou alcool (un ester donne un alcool + un acide).
Dans l’analyse chimique, on aurait dû voir un pic associé à l’augmentation de la concentration de cette fonction. Et ça n’est pas le cas. La dégradation étant homogène dans la phase amorphe ça aurait dû se voir. Ça se mesure facilement sur un PET dégradé par hydrolyse.
Voici une photo de fibres de PET en milieu alcalin, dans l’hydroxyde de sodium (NaOH) concentré et à 90°C pendant 30 min. Là ça attaque grave la surface et je comprendrai de voir des microplastiques.
La photo de la fibre avant et après exposition 5 min à 95°C dans l’eau est présentée ci-dessus. Avant et après, il n’y a pas vraiment de différences sur les fibres. Par contre, vous remarquerez sur les fibres non exposées de petites particules, comme un dépôt.
Les microparticules qui ont été identifiées doivent venir de là : du procédé de fabrication des fibres. L’équipe de recherche avait fait la même expérience à 20°C et n’avaient rien mesuré. Normal… pour les détacher il faut monter en température puisque ces particules sont de la même nature chimique que la fibre. Ils doivent bien adhérer. Il faut vous rendre compte d’une chose : quand on réalise des essais à cette température, le témoin est laissé 1h à 95°C parce que ça ne change rien sur les propriétés chimiques du PET (ça permet aux chaines de se relaxer comme pour les échantillons testés).
Il faut se rendre compte que 5 min c’est à peine le temps qu’à le polymère de se rendre compte qu’il est avec de l’eau à 95°C.
Il y a un temps d »induction » avant que la réaction ne se fasse. C’est spécifique aux fibres. 5 min c’est rien du tout !! Le PET est le matériau sur lequel j’ai le plus travaillé depuis 15 ans. Je connais bien le sujet mais j’ai partagé ma réflexion avec d’autres experts du sujet.
Pour conclure : la présence des microplastiques ne provient pas de la dégradation du plastique, mais du procédé de fabrication. De ce point de vue l’étude est très intéressante.
Je pense qu’il était important de donner des précisions sur cet article étant donné l’hystérie autour du plastique et la manière dont ce type d’article est repris dans les médias. Cela ne remet pas en cause l’étude qui est très bien côté méthodologie. Ne buvant pas de thé je ne suis pas concernée, mais choisir un filtre réutilisable permet de réduire les déchets.
Si vous avez le courage de lire ce document : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00350487/document… qui contient également beaucoup de sources et explique la différence entre la dégradation par hydrolyse en milieu neutre et en milieu alcalin (érosion).
Petit lien vers le Thread Twitter :
https://twitter.com/Kako_line/status/1177686879531130882