L’UE via l’ECHA a décidé de réglementer l’utilisation de microplastiques volontairement ajoutés afin de réduire la pollution qu’ils génèrent. Je vais vous expliquer ce qu’il y a dans cette restriction, et pourquoi on en parle.
Contrairement à ce que laisse entendre certains articles, ce n’est pas une interdiction totale mais une restriction sur l’utilisation de microplastiques pour certaines applications, en précisant les critères à respecter comme leur concentration et taille.
Le Comité d’évaluation des risques de l’ECHA (CER ou RAC en anglais) évalue la restriction proposée sur une base scientifique. Puis le comité d’analyse socio-économique (CASE ou SEAC en anglais) donne son avis sur la base de données socio-économiques pour en évaluer l’impact.
RAC et SEAC basent leurs avis sur des éléments apportés par des tiers : laboratoires privés et publics, entreprises, ONG, etc. qui sont d’ailleurs conviés aux différentes étapes de la rédaction de ces avis.
Le texte est soumis à consultation publique sur les avis du RAC et SEAC et les parties prenantes peuvent apporter leurs avis et arguments. Ce fut le cas ici. Le texte modifié sera proposé à la Commission européenne où il pourra encore évoluer puis être voté par les états membres.
Le texte de la restriction n’est donc pas définitif pour le moment, ce qui explique pourquoi certaines ONG et fédérations de fabricants en parlent dans les médias. N’oublions pas que le lobbying n’est pas réservé qu’aux industriels, chaque partie expose donc ses arguments.
Que propose l’ECHA ?
de limiter l’utilisation de microplastiques (intentionnellement ajoutés) à 0.01% en poids dans le produit, si leur taille est comprise entre 0.1µm et 5mm ou entre 0.3 et 15mm pour les microfibres (rapport longueur/diamètre supérieure à 3). C’est très précis !
Quand j’ai lu ces critères ça m’a tout de suite parlé et j’ai trouvé qu’ils correspondaient à la réalité, notamment pour ce qui concerne les possibilités d’analyse, nécessaires à la déclaration par les entreprises de la présence éventuelle de microplastiques.
Ces critères ne concernent pas :
❌les polymères biodégradables
❌les polymères solubles dans l’eau (au moins 2 g/L)
❌les polymères dits naturels qui n’ont pas été modifiés chimiquement.
Pour les deux premiers cas, des essais sont proposés par l’ECHA et ils correspondent selon moi aux types d’environnement que ces microparticules pourraient retrouver. Avec des durées d’essais et des critères d’acceptation précis.
La restriction est applicable :
✅aux produits cosmétiques
✅à la parfumerie (encapsulage de fragrances)
✅aux détergents
✅à certains produits agricoles: enrobage de granulés d’engrais à diffusion lente et de semences
✅à certains dispositifs médicaux
✅aux pelouses artificielles.
Elle n’est pas applicable pour :
❌les médicaments
❌les fertilisants
❌les produits utilisés sur sites industriels (oil & gas)
❌les additifs alimentaires,
❌les boues d’épuration et les composts.
Il y a des critères dans chaque cas pour savoir si la restriction est applicable ou pas. Il y a d’autres dérogations, très spécifiques, notamment lorsque les microplastiques ne sont pas émis dans l’environnement. Par exemple, les produits de construction comme les peintures. Par contre, il devra y avoir un étiquetage mentionnant la présence de microplastiques.
Il est important de comprendre que trouver un remplacement pour des enrobages de principes actifs dans le domaine médical cela prend du temps et je ne suis pas sure qu’il puisse y avoir des alternatives avec effets équivalents.
Cela signifie dans la restriction ne s’applique pas uniquement aux billes en plastiques mais également aux diffuseurs de principes actifs, ces capsules creuses qui sont utilisées pour libérer de manière diffuse ou certaines conditions des principes actifs.
Il y a une discussion sur la question de la taille des microplastiques qui ne fait pas consensus pour le moment. Notamment avec le EEB (European Environmental Bureau, ONG) qui aurait souhaité que soit conservée la taille minimale initialement proposée.
Le premier texte de la restriction prévoyait une taille minimale de 1 nm !! c’est la taille d’une macromolécule qui constitue un polymère et donc un plastique.
C’était techniquement à côté de la plaque pour différentes raisons. Que ce soit d’un point de vue technique (analyse et différenciation avec d’autres polymères mélangés par exemple) et irréaliste d’un point de vue purement industriel. Il est bon parfois d’aller se frotter à la réalité industrielle avant de discuter d’un point aussi technique.
Personne ne mentionne que la concentration minimale est à 0.01% alors que généralement elle est placée à 0.1% pour une restriction. Ce qui est contraignant parce que cela nécessite des analyses poussées et un contrôle important sur toute la chaîne de production.
Il y a également la remise en cause par les industriels du principe de précaution qui légitime cette restriction. En effet, l’ECHA l’admet il y a des présomptions mais pas de preuves. Le règlement REACh permet d’utiliser le principe de précaution sous certains conditions.
De plus, les articles scientifiques observent que certains microplastiques transportent des substances ou des bactéries issues de l’environnement et qui vont s’y accrocher et potentiellement aller polluer d’autres zones géographiques et/ou avoir des effets sur la biodiversité.
Mais ces microplastiques doivent être poreux et donc dégradés Ce sont des micoplastiques secondaires c’est-à-dire issus de la dégradation de plastiques plus massifs comme les emballages. Il n’est pas encore démontré que les microplastiques intentionnellement ajoutés aient ce rôle
Il est également précisé qu'ils sont persistants dans l’environnement. On peut très facilement calculer la durée de vie d’une microparticule dans l’environnement en fonction de sa géométrie et sa taille. Je pense donc que c’est un mauvais argument.
Donc pour résumer je trouve la restriction très ambitieuse et adaptée. Il sera probablement difficile pour les industriels de l’appliquer sauf à remplacer ces particules par des équivalents biodégradables, au risque d’obtenir un produit de moindre qualité. Mais elle est réaliste.
Je pense aussi que les essais proposés pour déterminer la biodégradation des microplastiques sont adaptés aux enjeux et aux risques de pollution en fonction des environnements (sols, rivières, océans). Je suis très agréablement surprise par l’annexe proposée.
Une restriction sur des microplastiques sur la base du principe de précaution c’est du jamais vu… les preuves sont minces mais elles existent. Les échanges sont techniques et c’est très positif. Je reste perplexe sur les arguments, mais j’adhère aux critères de cette restriction
SOURCES
– REACH
– Documents de la restriction
– Procédure restriction
Petit lien vers le Thread Twitter :
https://twitter.com/Kako_line/status/1301812551777386496?s=20