Selon WWF nous ingurgitons l’équivalent d’une carte de crédit de microplastiques par semaine. Cette affirmation choc est utilisée depuis juin 2019 par de nombreux médias avec une source scientifique qui a été publiée… en février 2021. Son contenu va vous étonner.
J’ai été en contact avec l’auteur de cet article qui a fait un travail remarquable avec son équipe, je tiens à le souligner. Il n’est probablement pas responsable de l’utilisation de ses travaux par WWF. Il avait même tempéré ses propres résultats. Voir p.7 du rapport WWF.
Il détermine par calcul les quantités théoriques de microplastiques (MP) que nous ingurgitons, à partir d’articles scientifiques déjà parus.
Il n’y a pas d’essais réalisés. C’est une étude statistique.
Les publications sont récentes mais avec des méthodes d’analyse très différentes. Même s’ils ont réalisé un tri des articles disponibles conséquents, une étude statistique reste très conservative et conduit à la surestimation en fonction de la disponibilité des données.
Le calcul des quantités est réalisé par extrapolation des données issues d’autres articles scientifiques. L’objectif étant de combler les nombreuses inconnues, mais c’est réalisé de manière conservative, terme souvent utilisé dans l’article.
Leur méthode de calcul: déterminer le nombre de MP présents dans divers aliments / boissons comme présenté ci-dessous. Pourquoi ces produits ? parce que ce sont ceux pour lesquels ils ont considérés que les données étaient les plus fiables et surtout disponibles selon l’EFSA.
Puis ils ont multiplié ce nombre par la masse théorique d’un MP. Et pour ce faire ils ont utilisé 3 méthodes différentes mais dont les données sont issues d’articles encore différents. En multipliant les 2 valeurs pour chaque scénario ils obtiennent une masse/personne/semaine.
Pour résumer ils ont utilisé des articles différents pour déterminer la masse d’un MP d’un côté et la quantité (nombre) de MP ingérés de l’autre.
Prendre les quantités dans certains articles, les masses et distribution dans d’autres donnera des valeurs forcément surestimées.
Je vais maintenant préciser comment ils ont déterminé le nombre de MP et la masse d‘un MP. Commençons par le nombre. Il est déterminé par aliment et voici ce que je retire des articles choisis :
❌L’eau en bouteille : L’un des articles utilise un révélateur qui se fixe sur les éléments organiques : bactéries, lipides, protéines et plastiques. Il n’est pas spécifique aux plastiques et il n’y a pas eu d’analyse chimique des particules. Dans l’article, le décompte a été réalisé par calcul. Une nouvelle extrapolation, qui ajoute encore un conservatisme à l’étude. Je l’avais commenté ici.
❌ Le sucre et le miel : l’article utilisé n’identifie pas les particules. Ce sont globalement des fibres, qui peuvent tout aussi bien être des fibres de plastiques ou de cellulose. Il n’y a pas d’analyse chimique mais uniquement une comptabilisation. Et c’est très clairement précisé dans l’article utilisé.
❌ Les mollusques : Un article de l’EFSA précise que l’estimation est difficile puisque les méthodes des articles sources sont différentes. Ce qui est détecté ne correspond pas à ce que nous ingérons. Nous lavons les aliments avant de les consommer. Il précise :
Il n’y a pas toujours d’identification des particules dans les articles.
Et sans identification il n’est pas possible de savoir si ces particules organiques sont des plastiques de la cellulose ou de la peau...
Autre point : certains articles extrapolent les quantités mesurées. Nous avons donc une extrapolation supplémentaire à celle réalisée sur les données sources.
Pour la masse de ces MP, ils ont utilisé 3 hypothèses permettant de déterminer les quantités ingérées par semaine et par personne selon 3 scénarios :
Scénarios 1 : La masse d’1 MP est obtenue par la détermination de la masse moyenne de MP présents dans les milieux aquatiques. Hypothèse TRES conservative: pour chaque article relatif à un milieu aquatique ils ont multiplié les données en kg/m² par la surface de la zone étudiée.
Pour la distribution en taille des MP ils ont utilisé un article mesurant les retombées atmosphériques de MP en Chine. Cela n’a rien à voir avec le contenu des autres articles. Mais Ils n’avaient pas d’autre étude à utiliser. On fait avec ce que l’on peut parfois.
C’est de cette hypothèse, très forte, que proviennent les 5.5 g de MP/semaine équivalents à une carte de crédit selon WWF. Le minimum est calculé à 0.6g/semaine.
Scénario 2 : hypothèse que les MP sont des particules sphériques. La masse est calculée à partir des données issues des articles déterminant les quantités de MP dans les aliments mais en considérant une taille de MP sphérique. On reste sur une hypothèse forte mais plus réaliste.
En considérant le cercle comme une taille limite. La moyenne calculée est à 0.1g/semaine et le minimum à… 0g/semaine !!
Scénario 3 : même chose que le scénario 2 sauf que les particules ont une forme cubique. La moyenne est à 0.3g/semaine et 0g/semaine pour le minimum.
Il en ressort que l’estimation la plus élevée est celle du scénario 1 d’où est issu l’équivalent carte de crédit. Mais la moyenne, toujours surestimée puisque conservative, est de 0.7g/semaine comme le montre ce tableau avec les choix/hypothèses de compensation :
Les résultats sont explicables par le manque de données comme les auteurs l’expliquent eux-mêmes. Ils ont fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils avaient. La méthode est intéressante. Elle pourra être utilisée une fois plus de données disponibles. La frénésie autour de cet article ne vient pas de leurs auteurs.
Vous avez pu constater que les 2 autres scénarios donnaient des valeurs moyennes de 0.1 et 0.3 g/semaine. Nous sommes très loin des 5.5g de la carte de crédit n’est-ce pas ?
Mais prendre une moyenne n’aurait pas été assez fort dans le débat, pas assez marquant, pas assez choc. Et c’est ce qu’a recherché WWF : choquer en pensant faire réagir. Et ça a fonctionné, avec des effets négatifs puisqu’aujourd’hui beaucoup pensent que c’est passer de plastique est écologique. Une erreur que nous regretterons probablement dans plusieurs années.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de recherche à réaliser. Au contraire. Il reste des lacunes notamment du côté des nanoplastiques et autres paramètres comme j’avais pu en parler dans cet article.
Ce qui aurait dû être communiqué est la moyenne de 0.7g/semaine. Avec les valeurs minimales 0g/semaine et beaucoup d’explications sur le peu de données disponibles. Mais ça n’aurait pas eu le même impact médiatique. C’est finalement tout ce qui compte dans cette histoire.
Finalement, cette image issue de l’article WWF illustre bien le sujet. Beaucoup d’incertitudes donc de conservatismes, une étude qui doit être prise pour ce qu’elle est, avec humilité. Et pourtant WWF ne s’est pas privé pour en abuser. Au détriment de tout le reste, dont l’éthique.
Le contenu de l’article ne justifie pas ce bashing médiatique. L’image de la carte de crédit restera ancrée dans les esprits et dans les articles livres et autres médias. Cet article et le contenu de l’article scientifique seront oubliés. La science interprétée et utilisée comme outil de communication. Le mal est fait et il risque d’être durable.
Une article publié en 2020 (voir source ci-dessous) affirme que la quantité de microplastiques ingérée est de 22-37mg par an. La carte de crédit de microplastiques (5.5g) ingérée par semaine devient donc… un grain de riz par an !! L’importance de vérifier la fiabilité de ses sources… Malheureusement cet article est passé complètement inaperçu alors qu’il a été publié dans un Handbook, c’est à dire un ouvrage de référence dans le domaine.
Sources
– Article principal
– Eau en bouteille
– Sucre et miel
– Rapport de l’EFSA
– Analysis of microplastics in food samples
Petit lien vers le Thread Twitter :
https://twitter.com/Kako_line/status/1362089236296585218?s=20