Dans l’émission Last Week Tonight sur HBO, John Oliver a présenté un sujet sur le plastique, ses déchets et son recyclage aux USA. Voici mon analyse de cette vidéo, disponible ici.
On le sent que l’objectif est de présenter le sujet de manière pédagogique et accessible au plus grand nombre. Il y a donc beaucoup de raccourcis et de clichés, ce qui est assez courant sur ce sujet. Avec un ton humoristique qui permet un passage à une heure de grande écoute.
Les chiffres présentés dans cette vidéo sont tous vrais, justes et sourcés ! Mais ils manquent parfois de contexte. C’est un peu le problème de cet exercice ou les autres matériaux et surtout l’ensemble du cycle de vie du produit sont peu évoqués.
Les chiffres sur la pollution viennent d’un article de Geyer et al., très utilisé, qui est une analyse de production et pollution plastique de 1950 à 2015. Dans cette période :
➡️381 millions de tonnes de plastiques ont été produits
➡️La moitié entre 2005 et 2015.
Mais ces chiffres ne concernent pas que les emballages : appareils ménagers, jouets, ameublements, véhicules, textiles, construction… ils concernent TOUTES les applications.
En 2015, le jetable constituait 36% du plastique produit dans le monde.
Il est également dit que 50% des déchets en 2015 étaient des emballages. C’est plutôt 47% mais on leur pardonne, l’objectif étant de donner un ordre de grandeur 😉
Le chiffre de 8,7% de plastique recyclé aux USA est tout à fait juste. Voici la source citée dans la vidéo et qui confirme qu’une grande majorité des déchets plastiques est envoyé en décharge. Elle vient de l’EPA (United States Environmental Protection Agency).
Pour les autres matériaux le taux de recyclage aux USA est de :
♻️ Papier/carton: 68%
♻️ Verre: 25%
♻️ Aluminium: 17%
♻️ Aciers: 33%
A part pour le papier/carton, pour le verre et l’aluminium cela reste très faible, malgré la valeur potentielle de ces matières premières.
Dans un magasin, un expert montre une barquette en plastique en expliquant que sous cette forme elle n’est pas recyclable.
Mais en Europe nous la recyclons, donc c’est recyclable. Ce qui empêche son recyclage aux USA c’est l’absence de filières pour les traiter.
Et c’est ce que John Oliver précise plus tard dans la vidéo. Le matériau n’a rien à voir là-dedans, ils doivent faire en sorte de n’accepter sur le marché que des emballages que leurs propres filières sont en mesure de recycler. Cela fait partie de l’éco-conception.
La conclusion de John Oliver qui passe du non-recyclage aux microplastiques est caricaturale mais pas si fausse. Si le plastique est massivement envoyé en décharges il se retrouvera dans la nature, dans les sols, dans l’eau avec les effets que nous connaissons sur la biodiversité.
Ensuite il évoque la fameuse « récente étude » qui démontrerai l’ingestion de l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine. Coup de com’ de WWF depuis juin 2019 et qui fait encore des ravages. Voici mon thread sur le sujet ici.
Je constate qu’il n’insiste pas là-dessus, le message principal qu’il souhaite faire passer n’étant pas celui-là. Il vise le système actuel qui ne met aucune barrière sur la production des emballages en termes de conception et ne permet pas de les traiter en fin de vie.
Il explique ensuite que l’objectif des industriels est de rendre le consommateur responsable de cette pollution, via des campagnes de pub et via le recyclage. Mais il semble qu’il oublie une chose : si le taux de recyclage n’est pas élevé ce n’est pas à priori de la faute du consommateur. Pas besoin d’aller voir les anciennes campagnes de pub pour s’en apercevoir.
En effet, une grande partie des déchets est tout de même triées et récupérée. Le faible taux de recyclage est lié à une production sans règles ni limites de conception. Ce n’est donc pas lié au consommateur, mais aux institutions/états et surtout aux industriels.
Dans ce cas précis on peut le dire. La responsabilité de l’industriel est de mettre sur le marché un emballage qui soit le moins impactant possible (définition du besoin, réduction de matière) et surtout recyclable dans le pays où il est commercialisé.
La responsabilité du consommateur est de trier/jeter ses déchets dans la poubelle dédiée et non dans la nature. Ce geste là, il en est responsable oui. Et il est important de le lui dire.
Les explications sur pourquoi le plastique n’est pas recyclable sont données :
➡️ Mélanges de plastiques différents
➡️ Difficultés de trier certaines conceptions
➡️ Rentabilité des filières
C’est ce dernier point qui serait la raison principale du non-recyclage des plastiques. En grande partie vraie.
Mais il y a des solutions pour rendre ces filières rentables : l’éco-conception et l’efficacité des filières de recyclage, etc. Il y a également, pour la grande majorité des gens, , une confusion entre le plastique utilisé dans l’emballage et les autres applications où le plastique est utilisé de manière durable.
Aux USA, l’exportation de déchets est une réalité. Ces déchets ont un impact sur la population et sur l’environnement. Exporter c’est déplacer le problème dans des pays qui n’arrivent même pas à gérer leurs propres déchets.
Ce qui n’est pas dans la vidéo : parmi les emballages devant être recyclés, la part d’exportation en 2016 correspondait à :
➡️ 2 millions de tonnes de plastiques
➡️ 20 millions de tonnes de papier/carton
Quel que soit le matériau, la gestion des déchets USA pose question.
John Oliver évoque les publicités de l’industrie du plastique qui culpabilisent le consommateur. Je n’ai aucune idée de l’impact de ces campagnes de pubs aux USA, mais il est nécessaire d’informer le consommateur de la nécessité de recycler. Est-ce le rôle des industriels ?
La responsabilité élargie des producteurs (REP) n’existe pas aux USA. Jusque-là le pays s’y refuse. C’est pourtant un moyen de responsabiliser les industriels et les contraindre à organiser/financer les filières de recyclage tout en leur demandant des comptes chiffrés.
Il est précisé qu’en 2013 seuls 2% des plastiques utilisés dans l’emballage alimentaire ont été recyclés en boucle fermée. Sauf que c’est un chiffre mondial et le recyclage en boucle ouverte n’est pas pris en compte.
Si l’utilisation en boucle ouverte était prise en compte, cela monterait à 10%. ça reste faible, mais il faut avoir en tête que le recyclage est très peu développé dans certains pays, notamment aux USA, l’un des plus gros producteurs de déchets plastiques.
Une fois encore, il est fait mention de l’idée reçue selon laquelle un recyclage qui n’est pas en boucle fermé est de moindre qualité. Mais recycler une bouteille pour en faire un pull en polyester qui aura une durée de vie longue, est-ce vraiment une dévaluation ?
Utiliser un acier issu d’une voiture pour en faire un acier de construction, est ce également une dévaluation de la matière ? J’avais traité ce point dans ce thread, notamment sur ce qui est considéré comme du downcycling (décyclage). Disponible ici.
John Oliver précise qu’une fois transformé en un autre produit, comme un pull, le plastique ne pourra plus être recyclé. Ce qui est encore faux, puisque les textiles se recyclent. De la même manière, des filières de recyclage existent dans la construction et d’autres secteurs.
D’ailleurs les USA recyclent 15% de leurs textiles selon le site de l’EPA. Ce même site précise les taux de recyclage pour des produits non jetables, certes faibles mais existants.
Quel que soit l’élément produit, le recyclage permet de réduire de 70-90% l’impact CO2 de la matière comparée à cette même matière vierge. Plus le produit est utilisé, plus cet impact est réduit. La réutilisation n’est que très peu évoquée dans la vidéo. C’est dommage.
Il est précisé que Coca-Cola n’intègre en moyenne que 9.7% de recyclé dans leurs emballages en plastique. Cela vient du rapport de la fondation Ellen MacArthur. Il y est également précisé une grande disparité entre les pays et les marques du groupe.
Cela ne remet pas en cause les chiffres cités, et en effet l’objectif n’est pas encore atteint. Il n’y a pas d’indication sur les raisons. Coût de la matière première ? difficulté de sourcing en recyclé ? volonté industrielle ?
J’ai du mal avec le classement de #Breakfreefromplastic parce que cela vise plutôt les bouteilles en plastiques qui sont les plus recyclées dans le monde. Je préfèrerai que ce prix soit décerné aux industriels ne jouant pas le jeu de l’éco-conception. Ce serait plus efficace.
La question de certains jetables qui pourraient être interdits, notamment les sacs en plastique, est une bonne question. Sauf que dans certains états, les législations contre les sacs en plastiques jetables ont été suspendues pour cause de COVID.
Sur ce point je suis d’accord, ce n’est pas justifié d’un point de vue sanitaire. Avec un peu de pédagogie, expliquer au consommateur qu’il peut utiliser plusieurs années ses sacs permettrait de se passer de millions de sacs en plastique chaque année.
En toute fin de vidéo, John Oliver indique que le recyclage est essentiel. Comme je vous le disais, la présentation est très décousue. Sur une même thématique, on peut retrouver des informations à différents moments de la vidéo.
Je ne sais pas comment le téléspectateur peut s’y retrouver, être attentif à ce qui est dit… et faire le distinguo entre ce qui est lié au jetable et ce qui est lié à l’utilisation des plastiques en général. Ce qui est spécifique aux USA et ce qui est mondial…
Mis à part certaines imprécisions ou informations erronées comme la carte de crédit de plastique, l’émission est plutôt dans le vrai. Et se focalise sur le problème principal qui est non pas le matériau mais bien le cycle de vie du jetable, de sa production à sa fin de vie.
Si vous vous arrêtez aux 10 premières minutes (ce que j’avais fait hier) il est clair que le traitement du sujet peut être considéré comme partiel, poussif et peu pertinent. Mais sur l’ensemble de la vidéo, quand on rassemble le puzzle, c’est pertinent.
SOURCES :
– Geyer at al
– Ourworldindata
– Site EPA
– World Economic Forum
– Global Commitment Progress Report
– Lavender Law et al.
Petit lien vers le Thread Twitter :
https://twitter.com/Kako_line/status/1374412561450299407?s=20