Le béton, pire matériaux pour la planète ? vraiment ?

J’ai visionné la vidéo de Osons Causer sur le béton (disponible ici), qui parle aussi des structures en bois/terre/paille. Pour moi la vidéo manque (beaucoup) de nuances. Voici quelques précisions sur le sujet.

D’après la vidéo, le béton est « la matière la plus destructrice pour le climat » après les énergies fossiles. Il est précisé que la majorité des impacts vient du ciment : Le CO2 est émis lors de la transformation du carbonate de calcium en CO2 et autres composés. Et indirectement par l’utilisation d’énergies fossiles. Mais le ciment n’est pas le matériau le plus émetteur de CO2.

D’après un rapport de l’ONU sur les 51.8 GTCO2eq émis chaque année par les activités humaines :
– 7.1% viennent du fer et alliages
– 5.6% du ciment
– 1.7% du bois

Pour précision, la séquestration carbone n’est pas comptabilisée ici, mais je vous expliquerai pourquoi après.

Il est dit que l’impact de la construction et du bâtiment représente 14% des émissions de gaz à effet de serre. Je n’ai pas retrouvé ces chiffres dans les sources données. J’ai donc recherché une source plus spécifique, un rapport sur l’impact de la construction et du bâtiment. Donc pour préciser : le bâtiment c’est 38% des émissions de CO2.

Sur ces 38%, 10% sont associés à la construction. Le reste est lié à l’utilisation du bâtiment ou de l’habitation. L’impact du secteur est déterminé en combinant plusieurs secteurs : industrie, fabrication, transport, énergie… il y a ici des impacts directs et indirects.

La production de matériaux est donc ici comptabilisée. En revanche, les impacts évités ne sont pas pris en compte. On est donc en-deçà des impacts liés aux transports. D’où l’intérêt de bien identifier le cadre d’une ACV.

Ensuite est présenté la poussière générée par le secteur de la construction à Delhi. C’est lié aux méthodes de construction qui sont loin d’être modernes. Aujourd’hui on utilise du béton prêt à l’emploi fabriqué dans une centrale mobile. Il y a donc peu de poussières.

Lorsqu’il y a nécessité de poncer ou de percer, une aspiration à la source est réalisée. De plus, les poussières que l’on retrouve dans l’air sont aussi liées à des procédés de démolition et de réparation/rénovation ou modification d’ouvrages réalisés sans mesures de prévention.

Ce n’est donc pas lié au béton mais aux mesures de prévention qui ne sont pas mises en place. L’OMS avait alerté sur ce problème de qualité de l’air aux origines multiples : utilisation de fossiles, trafic routier, industrie… et l’absence de normes incitatives pour ces secteurs.

La question des ressources est importante, notamment celle du sable et des agrégats en général. L’une des manières de réduire l’utilisation de matière première vierge est l’utilisation de matériaux recyclés.

L’usage reste aujourd’hui limité pour des raisons techniques : tous les bétons ne peuvent contenir des matières recyclées à performances égales. Donc c’est un problème à considérer, même s’il n’est pas spécifique au béton… il pourrait devenir celui des ressources renouvelables.

Concernant les alternatives au béton par le bois/terre/paille, cela reste limité. Il y a bien sûr eu des constructions dans le passé, mais les normes de construction et notamment de sécurité n’étaient pas les mêmes.

De nombreux bâtiments historiques en bois ont été reconstruits à la suite d’incendies. Ici le temple Kiyomizu-dera de Kyoto qui a été détruit lors d’un incendie en 1469-1480 et reconstruit 2 siècles plus tard. Aujourd’hui il est sujet à de nombreux entretiens pour sa conservation.

Tous les exemples donnés dans la vidéo sont constitués à minima d’une fondation en béton voire une structure complète interne. Pour les étages, le mortier peut permettre de renforcer la structure.

Pour assurer la stabilité de l’immeuble (contreventement) on utilise des cages d’escalier et d’ascenseurs en béton. Cela permet aussi de sécuriser les zones de secours des immeubles. Ce n’est pas nécessaire si l’escalier se trouve à l’extérieur. Exemple ici (source photo : Le Moniteur).

La stabilité d’un ouvrage est aussi à considérer et c’est pour cela que les fondations sont faites en béton. Certains proposent des fondations sous la forme de pieux en acier vissés. S’ils ne sont pas associés à un coulis, ils ne seront pas suffisants. (source photo : positive home).

La durabilité des pieux est à considérer en fonction du contexte géologique et caractéristiques géotechniques du sol : la résistance à la compression, charges dynamiques et chimie du sol. Le risque est important. C’est peut-être possible pour une maison mais pas pour un immeuble.

Quoi qu’il en soit, en fonction du lieu, le choix de ce type de solution n’est pas judicieux du tout. Même en présence d’une protection cathodique ou de contreventements, il faudrait réaliser systématiquement une étude précise des caractéristiques du sol qui a également un coût.

La séquestration carbone du bois est une réalité, mais ce n’est vrai que pour des durées de vie très longues. La plupart du temps, la séquestration carbone est considérée au prorata de l’utilisation du bois comme je l’ai expliqué dans un article dédié disponible ici.

Si on considère la séquestration du CO2 par le bois, il faut aussi considérer la carbonatation du béton : le CO2 de l’air réagit avec les produits d’hydratation du béton conduisant à la formation de carbonate de calcium.

Le pH à la surface du béton va diminuer. Et passer de 13 à 8-9. Ce phénomène permet donc de séquestrer du CO2 par dégradation naturelle du béton. Cette dégradation peut être dommageable si elle atteint les armatures en acier dans le cas du béton armé et si non maitrisée.

Une étude montre que la séquestration liée à la carbonatation du béton entre 1930-2013 a permis de compenser 43% des émissions de CO2 liées à la production de ciment sur cette période (hors émissions liées à l’utilisation de fossiles pendant la production)

C’est peut-être surestimé, il faut considérer les effets de la dégradation et donc ne prendre en compte qu’une dégradation limitée sur la durée de l’ouvrage. Mais vous pouvez imaginer le potentiel. Cela peut donc réduire l’impact des bâtiments en béton, sous réserve de durabilité.

Le phénomène de carbonatation peut avoir des conséquences dommageables sur la durabilité de la structure mais c’est aussi un phénomène naturel qui permettre d’intégrer une certaine quantité de CO2 en fonction de la surface de béton exposée.

L’IFSTTAR travaille d’ailleurs sur le piégeage du CO2 au sein du béton de manière naturelle ou forcée, explications disponibles ici.

La durabilité du bois est dépendante du choix de l’essence forestière : en fonction de l’exposition (UV, extérieur, intérieur, etc.) la nuance de bois choisie sera déterminante pour sa durabilité. Un mauvais choix impliquera une réduction conséquente de la durabilité de l’ouvrage.

Chaque essence de bois a sa propre durabilité en fonction de l’environnement considéré. Les constructions en bois sont réglementées, que ce soit pour les habitations ou le génie civil, il existe des normes et codes permettant de dimensionner des bâtiments ou des ouvrages en bois.

Avec des exigences pour des emplois non-structuraux et structuraux (Eurocode 5). Le bois étant un matériau de construction il est soumis à des exigences générales de performance, de durabilité et de sécurité, via des normes harmonisées (marquage CE) ou des spécifications (DTU).

Pour une utilisation structurelle et une durabilité importante seul le duramen (cœur) du bois sera utilisé et non l’aubier (partie extérieure). Il faudra préserver le bois en appliquant un revêtement et l’entretenir, voire un traitement en profondeur en fonction de l’exposition.

Mais certaines essences ne sont pas imprégnables et verront leur utilisation restreinte à certaines applications notamment en termes d’exposition et de durabilité. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’attendre à 50 ans de durée de vie sans traitement et sans maintenance.

La gestion durable du bois en France peut permettre des constructions de ce type. Il faudra tout de même une organisation des filières de sorte de pouvoir répondre aux nombreuses sollicitations, qui ne sont pas que pour la construction.

Les métiers du bois restent et resteront des métiers artisanaux. D’après l’Union des coopératives forestières, les unités de transformation sont généralement spécifiques à une essence forestière et ces unités manquent dans certains territoires. C’est donc une industrie à développer.

Pour conclure, en matière de construction, l’opposition entre les matériaux n’est pas pertinente. Les solutions sont choisies en fonction des conditions d’usage, de l’environnement c’est-à-dire du cahier des charges initial.

D’après l’IEA, les principaux leviers pour la réduction des impacts du béton sont l’énergie utilisée, la composition/performance du matériau et… le piégeage CO2. Dommage que ces axes n’aient pas été présentés.

Bien sûr qu’il est bien plus facile de construire avec du béton pour des performances équivalentes, mais rien n’interdit de construire différemment aujourd’hui, toujours avec du béton. Ce qui compte, ce n’est pas uniquement l’impact isolé des matériaux.

Une ACV prend en compte tous les impacts sur toute la durée de vie de l’ouvrage. C’est cela qu’il faut considérer lorsqu’on parle de construction. Parce que l’utilisation d’un matériau peut impliquer des mesures constructives spécifiques et donc des impacts ou risques en termes de sécurité ou de performance à considérer.

Un ouvrage doit être construit en toute sécurité que ce soit pendant sa durée de vie en condition normale ou accidentelle !!! séisme, incendies, impacts, inondations…

Bien sûr que le béton a un impact conséquent. Mais quand on communique sur ces sujets il est important d’apporter de la nuance. Le risque si on ne le fait pas ? que certaines idées reçues se propagent et en matière de construction, cela peut générer des désastres.

Je pense que nous avons une divergence avec Osons Causer sur la manière d’informer. Pour moi la vulgarisation doit permettre d’expliquer un sujet sans porter un message ou une opinion. Il est donc impératif d’être « juste » dans ma manière de traiter un sujet.

Même si cela conduit à des positions opposées aux siennes. C’est pour cela que j’ai tenu à faire cet article, un peu long mais nécessaire.

Sources
Emissions Gap Report 2019
2020 Status report for building and construction
OMS rapport Inde
Classes d’emploi du bois

Construction bois selon Eurocode 5
Avis CSTB Techno Pieux
IEA, Heavy industry

Petit lien vers le Thread Twitter :

https://twitter.com/Kako_line/status/1379456163574603784?s=20

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