Quand l’accident grave a-t-il été pris en compte dans les études de sûreté nucléaire en France ?

Dans un article du Monde, Bernard Laponche est interviewé sur les questions de vieillissement des centrales nucléaires françaises et de sûreté nucléaire. Au-delà d’un positionnement flou et de propos non étayés, il évoque dans un paragraphe la prise en compte des accidents graves dans les études de sûreté nucléaire.

L’article en question est disponible ici.

Cet exemple est représentatif de la manière dont B. Laponche présente les sujets associés au nucléaire. Voici le paragraphe en question:

Prenons tout d’abord la définition d’un accident grave selon l’ASN :

« Accident conduisant à la fusion au moins partielle du cœur d’un réacteur nucléaire »

Dès 1957 aux USA le rapport « Wash 740 » de l’US Atomic Energy Commission décrit les conséquences d’un accident grave, tel que définit aujourd’hui, en termes de probabilité et d’impacts.

Ce rapport est un exemple marquant de la période 1955-1958 où les USA et la Grande-Bretagne évaluent les pires conséquences d’un accident de réacteur. Déjà.

Bien avant Fukushima et Three Miles Island (TMI) et donc même avant la construction des centrales nucléaires REP en France.

En 1958, lors de la conférence « Atoms for Peace » à Genève, le britannique F.R. Farmer présente un article expliquant que le risque zéro n’existe pas. C’est dans cet article que sont décrites sans être explicitement citées les 3 barrières de sureté. Plus de détails ici.

C’est également dans cet article que Farmer explique que tout évènement, même mineur, peut être le signe d’un dysfonctionnement pouvant être la cause, cumulé avec d’autres dysfonctionnements mineurs, d’un accident beaucoup plus grave.

Il est également question de réaliser « des estimations théoriques du déroulement de certaines défaillances extrêmement improbables, mais non complètement impossibles, d’origine humaine ou matérielle ».

Dès 1964, le terme « accident grave » est utilisé en France par Jean Bourgeois lors d’une conférence internationale sur la sureté.

Ce terme n’est donc pas nouveau en France et date d’avant la construction des centrales nucléaires actuelles.

La pratique française en termes de sureté s’inspire en partie de la pratique américaine (origine des réacteurs à eau pressurisée), avec notamment la mise en place d’un rapport de sureté nécessaire à la délivrance d’une License d’exploitation.

Mais aussi des pratiques britanniques. Le concept évoqué par l’anglais Farmer en 1958 de barrières successives de sureté (principe des poupées russes) qui sera au cœur du principe de défense en profondeur est mis au point pour les filières graphite-gaz puis utilisé pour la conception des réacteurs à eaux pressurisés français, dont la construction commencera en 1973. La défense en profondeur est donc un principe de conception des centrales nucléaires françaises.

Concernant le sujet de la défaillance éventuelle de la cuve du réacteur, cette question est considérée dès 1965 aux USA et en France. Celle de la fusion du cœur date de 1966 lors d’une réunion sur la réévaluation du rapport Wash 740, qui aboutira à une évolution des critères généraux de conception pour les systèmes et composants des réacteurs.

Ce qui pourrait aller dans le sens de M Laponche, c’est de préciser, qu’effectivement à la construction des centrales il n’y avait pas de matériels spécialement dédiés à la gestion d’un accident grave (contrairement à aujourd’hui).

Néanmoins les opérateurs disposaient dès les années 80 de consignes permettant de gérer de telles situations avec le matériel disponible. L'accident de TMI fut un véritable électrochoc.

Ce qui veut dire que ce type d’accident était envisagé avec les parades associées. C’est la manière de gérer ces situations qui a changé au fil du temps et des retours d’expérience. Les principes de sureté ne sont pas figés.

Chaque accident nucléaire, où qu’il se trouve, engendre un questionnement des principes de sureté, la prise en compte de ce retour d’expérience à l’échelle internationale et la mise en place d’un vaste plan d’action à l’échelle nationale

Quelques exemples d’évolutions des principes de sureté :
Three Miles Island : facteur humain et organisationnel en phase d’exploitation;

Tchernobyl : Culture de sureté, facteurs institutionnels avec (transparence et indépendance avec la création de l’ASN) ;

Fukushima : Complément de sureté qui prend en compte « l’inimaginables », des scénarios jusque-là non imaginés. Cela a consisté à renforcer le référentiel déjà existant + constitution de la FARN pouvant supporter les pires agressions.

Donc non, cela ne date pas de 2011.

On en arrive aujourd’hui à protéger les installations d’agressions extrêmes ou de situations liés à des cumuls d’évènements, avec des scénarios dont la probabilité est très faible.

A chaque fois qu’une éventuelle faille est détectée ou soupçonnée, elle est traitée. Même si très peu probable. C’est tirer les leçons des évènements, et c’est comme cela que fonctionne la sureté nucléaire. C’est plutôt une bonne chose de mon point de vue.

Donc comme vous pouvez le constater, ce que dit B. Laponche n’est pas tout à fait vrai sans être totalement faux. Une habile manipulation des faits pour orienter le lecteur.

Pour en savoir plus sur la sûreté nucléaire, mon article sur le sujet.

Petit lien vers le Thread Twitter :

https://twitter.com/Kako_line/status/1353757641718247424?s=20

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