J’ai reçu un commentaire sur Twitter, disant que la question du stockage de l’énergie n’en était pas une. C’était l’opportunité de vous parler de ce sujet et des limites technologiques associées.
Alors, où en est-on aujourd’hui ?
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Trois précisions préalables :
Toutes les sources d’énergie ne sont pas égales face au stockage. Le succès des énergies fossiles s’explique en partie parce qu’elles se stockent très facilement. L’électricité, elle, peut être stockée mais sous une forme différente ce qui nécessite des transformations. Le courant électrique peut être converti sous une autre forme d’énergie qui elle peut être stockée et qu’on pourra utiliser en fonction du besoin : énergie mécanique, thermique, chimique ou électrochimique.
Le stockage peut être :
Certaines technologies ne peuvent être que stationnaires comme les STEP, d’autres peuvent être stationnaires et embarquées comme les batteries. Parlons maintenant des 5 principales technologies de stockage existantes.
La station de transfert d’énergie par pompage, qui est LA technologie de stockage la plus utilisée dans le monde. Le stockage repose sur le principe de l’énergie gravitaire. Une STEP est constituée de 2 bassins dont l’un est au-dessus de l’autre comme présenté ci-dessous. Lorsque l’électricité est produite en excès, l’eau du réservoir inférieur est pompée vers le réservoir supérieur qui reçoit l’énergie potentielle.
Source image : encyclopédie de l’énergie
Lorsqu’il faut restituer cette énergie, l’eau du réservoir supérieur est vidée par gravité et passe par une turbine qui produit de l’électricité. Cette technologie permet de stocker de grandes capacités mais avec une certaine inertie qui ne permet pas un chargement/déchargement rapide.
C’est également une technologie qui demande beaucoup de surface puisqu’elle nécessite la construction de 2 grands réservoirs. 98% du stockage d’énergie dans le monde repose sur cette technologie, soit 145 GW au total. La France dispose de 6 STEP mises en service entre 1976 et 1987 pour une puissance de pompage de 4.2 GW. La plus grande STEP du monde est aux USA 3GW (Bath Country).
Quelques éléments techniques
On utilise ici l’énergie pneumatique par un mécanisme de compression d’air. Pour utiliser l’air il suffit de relâcher l’air comprimé. Bon ça parait simple mais c’est quand même assez complexe techniquement.
Source : CEA
Dans les faits l’air comprimé est injecté avec du gaz dans chambre de combustion puis passe par une turbine et un alternateur pour produire de l’énergie électrique. La décompression nécessite un apport d’énergie sous la forme de gaz pour chauffer l’air.
Côté conception, le stockage est réalisé dans des cavités souterraines. Le dimensionnement des cavités dépend de l’installation en surface, et pour de grandes installations il faut pouvoir maitriser les risques de fuite et de vieillissement des réservoirs.
Quelques éléments techniques
Dans ce cas, l’électricité est stockée sous la forme d’énergie cinétique par accélération d’une masse tournante. Elle est restituée en électricité via un alternateur. Le stockage dans ce cas peut être maintenu plus de 15 min.
Source : CEA
L’avantage de ce système est le temps de charge/décharge très court. Cette technologie est ancienne, elle a été utilisée par les artisans potiers de Mésopotamie, il y a environ 5500 ans, qui utilisaient des masses tournantes pour emmagasiner et restituer de l’énergie.
Quelques éléments techniques
La restitution en électricité se fait via une pile à combustible entre autres. Le gaz combiné à l’oxygène produit de l’eau et de l’électricité.
Source : CEA
Quelques éléments techniques
Le moyen de stockage le plus connu. La batterie est constituée de deux électrodes et d’un électrolyte (substance conductrice). Les électrons circulent dans la batterie au moment du chargement et du déchargement.
Source: CEA
Il existe plusieurs types de batteries : lithium-ion, plomb-acide etc. Chaque type a des capacités différentes et une durabilité dépendante des matériaux utilisés. Les batteries lithium-ion sont de loin les plus utilisées et les plus matures d’un point de vue industriel.
Quelques éléments techniques
Pour que le réseau électrique soit stable et le courant de bonne qualité, il faut qu’il y ait un équilibre entre l’électricité injectée (issue de la production ou du stockage) et celle extraite (ou consommée). Le stockage permet aussi de distribuer la charge et l’énergie sur le réseau avec l’utilisation massive de sources de production variables (éolien/solaire) qui nécessitent, pour conserver cette stabilité, de pouvoir stocker en cas de surproduction et de restituer en cas de pic de consommation, ou de compenser leur variabilité par des technologies de production pilotables (nucléaire, hydraulique) et de stockage, entre autres.
Voici comment la flexibilité est gérée aujourd’hui en France :
Pour ce qui est du stockage stationnaire, le diagramme de Ragone permet de comparer les performances des technologies de stockage ce qui permet d’identifier les différences en termes de puissance de stockage et de temps de charge/décharge :
Les technologies de stockage sont donc très différentes entre elles et n’auront donc pas le même usage pour stabiliser le réseau électrique. Chaque technologie est potentiellement un levier de flexibilité avec des effets différents sur le réseau.
Ainsi, les besoins journaliers peuvent être assurés par les batteries et les besoins hebdos par les STEP. Pour l’inter-saisonnier, ce sera avec l’hydrogène/STEP. Le parc de stockage actuel en France (chiffres RTE 2020) est de 4 850 MW dont 4810 hydrauliques et 40 MW de batteries.
Le Parc de stockage évolue avec le temps, il y a des prévisions d’évolution pour ces prochaines années. En attendant RTE a lancé les expérimentations Osmose et Ringo avec des sites de stockage de 12 à 10MW contenant des batteries de différents types sur 1 ou plusieurs sites.
Pour comprendre il faut avoir en tête quelques éléments en tête. Concernant le devenir du mix électrique :
Concernant les besoins en stockage :
La capacité installée actuelle du Parc nucléaire français est de 61.4GW. Le besoin serait donc supérieur à la flexibilité apportée par le nucléaire aujourd’hui. Avec la baisse du nucléaire et le maintien de l’hydraulique les autres solutions de flexibilité seront très sollicitées.
La flexibilité peut être obtenue de plusieurs manières Le stockage est un levier important mais il y en a d’autres qui nécessitent un fort développement technique et règlementaire. Tout en considérant les évolutions de la conso et les risques associés aux aléas climatiques ou accidentels.
Par exemple, la décharge des batteries sur le réseau électrique (Vehicle-to-Grid), ainsi que la seconde vie des batteries de véhicules électriques (pour des usages de secours tertiaire ou de cyclage faible puissance du PV) sont des possibilités à considérer.
Je vous conseille le rapport RTE/IEA qui l’explique bien, ou deux threads sur ce rapport qui présentent bien où ça coince techniquement quand la proportion d’ENr devient très importante :
Et
Ce dernier thread précise que certains de ces moyens de stockage ne contribuent pas à assurer la fréquence du réseau. C’est ce que RTE mentionnait dans son rapport d’ailleurs. Cet aspect est souvent oublié, mais il est d’importance selon Greg De Temmerman.
Le stockage par batterie est intéressant pour un stockage court-terme mais il n’est pas suffisant pour réguler le réseau et le sécuriser à différentes échéances (journée, semaine, saison, année…). Il est bien plus adapté à la production solaire (journalière) qu’à l’éolien par exemple, qui a des profils de production bien plus variés pouvant durer plusieurs jours.
La technologie Lithium-ion, la plus développée aujourd’hui, est limitée par différents facteurs :
Pour ce dernier point, bien qu’il diminue fortement avec les effets d’échelle de production, il n’en reste pas moins que les quantités nécessaires associées aux durées de vie courtes sont un frein important. Le développement de nouvelles technologies de batterie pour des applications en stockage stationnaire est donc nécessaire pour intégrer les besoins anticipés qui sont énorme en France et dans le monde. On est loin de solution miracle.
Sur la question des matériaux, les besoins vont devenir très importants ces prochaines années, que ce soit pour atteindre les objectifs 2035 ou encore 2050 en fonction du scénario choisi. Il y aura énormément de demandes ces prochaines années et décennies dans le monde. Il est donc nécessaire d’anticiper le besoin en termes de ressources et de développer en parallèle des technologies utilisant des matériaux plus communs.
Comment se situe la France sur ces deux aspects ? nous sommes mieux positionnés sur le 2e aspect que sur le 1er… Et même si nous déployons des moyens de stockage rapidement, il ne suffit pas de les connecter au réseau, il y a toute une infrastructure à repenser en fonction des usages, du mix et de la position géographique des capacités de production, de stockage et de consommation.
Ceux qui font miroiter une possibilité de stockage par batteries importante n’ont juste aucune idée de ce que cela implique d’un point de vue technique, technologique, industriel, environnemental et bien sûr économique.
Le problème est donc d’adapter un moyen de stockage avec des limites techniques, à une échelle conséquente en termes de puissance et de flexibilité. Tout en conservant la recyclabilité de la solution et un impact environnemental compatible avec les objectifs visés.
Et si vous avez bien lu ce thread vous comprendrez qu’il n’y a pas une mais plusieurs solutions qui contribuent ensemble à la stabilité du réseau en fonction du scénario et donc du mix choisi
Pour aller plus loin, je vous conseille cette vidéo du Réveilleur qui parle stockage et réseau électrique.
Sources :
Petit lien vers le Thread Twitter :