Nucléaire – Comprendre la corrosion sous contrainte

Quelques éléments techniques pour comprendre ce qu’est la corrosion sous contrainte, qui a touché une partie du parc nuclaire français en 2022.

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Le sujet de la corrosion sous contrainte (CSC) n’est pas nouveau, il a été très étudié, notamment dans le nucléaire. Il existe donc de nombreuses sources bibliographiques sur le sujet. J’en ai cité quelques-unes mais vous pouvez en retrouver de nombreuses depuis les années 70.

La CSC a lieu lorsqu’un matériau métallique est soumis à la fois à la corrosion localisée et à une contrainte mécanique. Elle se traduit par la formation de fissures, qui se propagent avec un temps de latence plus ou moins long en fonction des cas. Un exemple ici ⤵️

La CSC dépend de plusieurs paramètres qu’il faut prendre en compte ensemble :

  1. le milieu, généralement aqueux (niveau de corrosivité)
  2. la nature et la microstructure du matériau
  3. la contrainte mécanique à laquelle le matériau est soumis

Pris individuellement ces paramètres ne sont pas suffisants pour que la CSC ait lieu. Par exemple, sans contrainte le milieu est généralement peu agressif au regard de l’alliage. C’est la synergie des 3 conditions qui provoquent la CSC. 

Je vais donc détailler chacun de ces paramètres, en évoquant le problème identifié sur le circuit RIS de Civaux :

Le milieu

Plus le milieu sera corrosif plus la CSC sera rapide. Le niveau de corrosivité dépend de la sensibilité du matériau face au milieu auquel il est exposé.

Exemple : le taux d’oxygène dissout dans l’eau, ajouté aux conditions de pression et de température, peut avoir un effet important sur la vitesse de propagation des fissures et donc de rupture fragile de certains aciers. Mais la CSC peut aussi avoir lieu en présence de chlore, soude, etc.

Dans le cas qui nous intéresse, on se trouve à priori dans une zone avec l’eau du circuit primaire, qui contient du bore, faiblement oxygénée (risque corrosif très faible), et un pH régulé.

La qualité de l’eau est surveillée, mais il faut s’assurer qu’il n’y ait pas eu accumulation d’éléments possiblement corrosifs au niveau des zones de stagnation de l’eau et de possible dépôt, comme les coudes(imageIRSN).

Le matériau

Le mécanisme dépend de l’alliage qui peut être plus ou moins sensible au milieu considéré. Il faut considérer les propriétés intrinsèques du matériau mais aussi la manière dont il a été fabriqué, les étapes de formage et de soudure qui ont été réalisées.

Les zones dites singulières (spécifiques, comme les coudes et les soudures) sont plus susceptibles de présenter des risques de CSC parce qu’elles sont réalisées selon des procédés pouvant modifier localement la microstructure et la composition de l’acier (image CETIM)

Petit exemple de l’influence du taux de carbone d’un acier austénitique dans un environnement sous contrainte et en présence d’un élément corrosif (oxygène) :

Toute hétérogénéité de structure ou de composition peut être une source d’hétérogénéité en termes de réactivité électrochimique (création d’une pile électrochimique locale) et donc susceptible de générer une CSC.

Il faut donc vérifier que la chimie et la microstructure de l’acier sont bien conformes à l’attendu. Un diagnostic métallurgique est donc nécessaire pour écarter ce point.

La contrainte

Elle peut être appliquée, c’est-à-dire liée aux conditions d’usage (pression, température, irradiation) de l’élément en acier : équipements sous pression, température élevée, sachant que les phénomènes cycliques accélèrent le phénomène de CSC.

Elle peut aussi être résiduelle c’est-à-dire liée à la mise en œuvre comme expliqué précédemment (géométrie, traitements thermiques, etc.). Si les contraintes résiduelles ne sont pas traitées avant installation elles peuvent générer une CSC sous certaines conditions.

Chaque cas est spécifique à un système métal-milieu. D’où la complexité de la CSC. De plus elle n’intervient qu’à partir d’un seuil de contraintes qui dépend du milieu ET du métal. Il se peut qu’elle n’intervienne que lors de conditions spécifiques en limite de fonctionnement.

Conséquences ?

Lorsque la CSC a lieu, elle se traduit par une fissuration du matériau perpendiculairement à la contrainte. Elle peut avoir lieu entre les grains et/ou à travers les grains en fonction des conditions dans lesquelles elle a lieu. (image CEA).

La CSC est un mécanisme en 2 étapes : tout d’abord l’amorçage qui a généralement lieu au niveau d’un défaut, puis la propagation qui peut aller jusqu’à la rupture fragile. Le passage de l’un à l’autre se fait si certaines conditions sont réunies (milieu et niveau de contrainte).

Il y a un temps de latence plus ou moins long en fonction des conditions d’initiation de la CSC. La fissuration peut par exemple s’arrêter ou ralentir si les contraintes sont faibles et s’il y a passivation du métal c’est-à-dire création d’un film passif ralentissant la corrosion

La CSC est toujours localisée donc il est normal qu’elle se produise dans une zone singulière : un coude ou une soudure. Cela n’indique pas l’origine de la corrosion (générique ou pas). Il est donc nécessaire de procéder à plusieurs investigations pour en déterminer l’origine.

Pour Rappel : concernant le circuit RIS du réacteur n°1 de Civaux, les contrôles par ultrasons ont dans un premier temps identifié ces fissures à proximité des soudures de certains coudes de tuyauteries. Après découpe et analyse en labo, la CSC aurait été caractérisée.

C’est à ce moment-là que le réacteur n°2 a été arrêté préventivement le 20/11/2022. Les contrôles ayant permis d’identifier le même type de défaut, EDF a décidé d’arrêter, les tranches du même palier soit 2 autres réacteurs à Chooz (N4, 1450MWe).

L’analyse de la situation se fait sur les 3 aspects développés:

  1. Milieu : Conditions de fonctionnement de l’installation et analyse des dépôts éventuels ou la teneur éventuelle en oxygène ou autres éléments dans l’eau
  2. Matériau : la composition chimique et la structure des zones impactées (identification de zones sensibles)
  3. Contraintes : identification des contraintes résiduelles éventuelles par analyse métallurgique, pour détecter une zone affectée thermiquement au niveau des soudures

L’analyse des éléments liés à la fabrication et l’installation (qualité de l’acier, formage, soudures etc.) doivent permettre de traiter les points 2 et 3. Ils ont permis de déterminer que ce phénomène était présent sur les réacteurs de même palier.

Contrairement à ce que j’ai pu lire, ce n’est pas ici un problème de « vieillissement ». Le palier N4 a été mis en service entre 1996 et 1999. On n’est dans pas un cas lié à l’âge ou à l’état d’un matériel, mais probablement à un fortuit lié à la fabrication ou l’installation.

Le sujet n’est pas simple et il a pourtant été traité avec simplisme par certains commentateurs et politiques.

Petite précision: la CSC n’est pas exclusive aux métaux. Certains plastiques peuvent être soumis sous certaines conditions à une fissuration sous contrainte en fonction de leur microstructure, des contraintes appliquées et du milieu. Ex ici sur une tuyauteries en polybutylene

Sources :

Petit lien vers le Thread Twitter :

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